Moi, EVA BRAUN…

Elle s’appelait Eva Braun. La veille de son suicide, le 30 avril 1945,
elle épousa l’homme pour lequel elle avait tout sacrifié et devint
alors, pour quelques heures, Eva Hitler. Ce récit, écrit à la première
personne, dévoile cette incroyable destinée, inextricablement
liée à celle d’Adolf Hitler, le « Sauveur » de l’Allemagne, l’un des
personnages les plus sinistres de l’Histoire de l’humanité. Au fil des
mots, Eva se livre en toute spontanéité. Témoin privilégiée de ces
folles années de l’entre-deux-guerres, la « maîtresse maudite »
du IIIe Reich nous entraîne de son enfance aux derniers jours de
la Seconde Guerre mondiale, sans renier cet amour que l’on suit
comme un fil rouge.
« Cette histoire est la nôtre, Adolf. »

J’ai la chance que François Delpla, l’historien français spécialiste d’Hitler, ait suffisamment apprécié mon roman pour le préfacer. 🙂 Un petit plus pour mon livre qui m’a fait bien plaisir.

 

Chroniques parues sur mon roman…

Mélanie Courtemanche-Dancause, collaboratrice à l’Incorrect :

« Je me suis plongée dans le roman historique sulfureux de Chloé Dubreuil publié chez Lemme Edit. Écrit sous la forme d’un journal intime adressé à son mari monstrueux dans les derniers jours précédant leur suicide, cet ouvrage fait polémique en posant la question essentielle : pouvons-nous, aujourd’hui, raconter l’histoire d’amour d’Eva Braun et Hitler ?
Alliant le travail d’un chercheur aux talents d’un littéraire, Chloé Dubreuil répond par un tour de force qui ne manquera pas de déstabiliser plus d’un lecteur. Pour que celui-ci se permette d’entrer dans l’esprit et l’univers de l’épouse du Führer, il doit d’abord oublier « le réflexe pavlovien, qui depuis 1945 incite à réprouver, en tout effort pour comprendre les nazis, une tentative ‘d’humaniser le mal’ » (je cite François Delpla, docteur en histoire et qui signe la préface de cet ouvrage).
👉 Et bien sûr, comme disait Hannah Arendt, comprendre n’est pas pardonner.
En lisant ce roman, je réfléchissais continuellement à Arendt et son concept de la banalité du mal. Lorsqu’elle se rend à Jérusalem en 1961-1962 pour témoigner du procès d’Adolf Eichmann, elle cherche à comprendre de quelle manière ce bureaucrate ordinaire, voire médiocre, ait pu commettre les crimes dont il était coupable. Elle se rend compte, non sans scandaliser, qu’Eichmann a fait le Mal sans réelle méchanceté, dans un parfait esprit de petit fonctionnaire, devenu un rouage plutôt qu’un personnage diabolique. Incapable de penser, il serait devenu incapable de former des jugements moraux. Elle conclue que le Mal suprême est perpétré par des êtres insignifiants, ainsi se banalise-t-il et contamine-t-il toute une société.
Parallèlement, le roman pose la question : « Comment une jeune fille joyeuse, délurée et superficielle a-t-elle pu apprécier la compagnie d’un homme politique ennuyeux et monstrueux, au point de l’accompagner dans le suicide ? »
La réponse est la même.
Nous avons affaire à une femme terriblement médiocre : qui n’a d’autre ambition que celle d’une starlette bourgeoise et qui n’a d’autre échappatoire que la frivolité et le narcissisme. Elle voulait une vie exceptionnelle, qui ressemblât à celles des vedettes de cinéma. Elle écrit dans son journal : « Au pire, j’aurais pu être un pion qu’on utilise. Je ne le voulais pas ». Elle cherchait à maîtriser son existence et échapper à la banalité, mais au final — prise dans le tourbillon d’un amour totalitaire qui la transforme en « objet quasiment hygiénique », qui lui arrache toute autonomie de la pensée —, ne fait que subir à la fois la vie et la banalité. Elle crut devenir célèbre de son vivant, elle demeurât une insignifiante, tout comme Eichmann.
Pour autant, il ne faudrait pas lui coller l’étiquette d’une femme piégée par le paternalisme de son amoureux : à une époque où on tend à angéliser la femme, qu’on la déresponsabilise de ses actes sous couvert de victimisation sous le poids d’un patriarcat fasciste, Chloe Dubreuil nous dépeint un personnage féminin qui surprend par sa volonté, à défaut d’être animée par des convictions : « Le loup s’était déguisé ; de mon plein gré, je me suis faite sa proie. »
S’agit-il pour autant de romancer l’expérience nazie ? Non. L’écrivaine a-t-elle le droit de l’humaniser ? Oui, et j’ajouterais même qu’elle en avait le devoir. Chloé Dubreuil nous rappelle que le Mal n’est pas extérieur ou étranger à l’Homme, il est toujours issu de lui. De même, elle empêche qu’on attribue à Hitler et ses complices une grandeur intouchable, ne serait-ce qu’une grandeur satanique. Dans sa correspondance avec Karl Jaspers, Hannah Arendt nous confie : « toutes les tentatives visant à mythifier l’horreur doivent être combattues et tant que je ne me sortirai pas de telle formulations, je n’aurai pas compris ce qui s’est réellement passé. »
En dehors des livres d’histoire, le roman de Chloé Dubreuil est sans doute une des meilleures tentatives actuelles de compréhension, et nous n’avons certainement pas fini de comprendre. »
Le boudoir du livre :

« Quand j’ai vu la couverture si graphique, sobre et élégante, mystérieuse et envoûtante d’un roman sur l’histoire d’Eva Braun, je n’ai pas pu résister à l’envie de le lire et je n’ai pas été déçue bien au contraire. Je trouve dommage qu’il n’est pas bénéficié d’une belle mise en avant chez les libraires… Heureusement que ce livre bénéficie d’une mise en lumière via les réseaux sociaux.

C’est la première fois que je lis une histoire à la première personne où l’auteur se met dans la peau d’Eva Braun, ce qu’elle a vu, ce qu’elle a pensé, ce qu’elle a enduré pour passer de l’ombre à la lumière non comme ces artistes qui ne rêvent que de gloire mais comme la seule, l’unique, l’irremplaçable… femme d’Hitler, la personne la plus proche de celui qui a conduit aux pires horreurs de la Seconde Guerre mondiale… Une femme de l’ombre parmi tant d’autres, maîtresse puis épouse d’Adolf Hitler le temps de quelques heures… Mais qui a su marquer l’histoire en marche de par son amour indéfectible avec l’un des dictateur, responsable du génocide de tout un peuple.

C’est très particulier et troublant de comprendre une femme qui reste une énigme, comment être l’intime d’un dictateur, comment peut-on aller jusqu’à l’épouser… Cela paraît inimaginable et pourtant Eva l’a fait. L’aspect psychologique d’Eva, sa personnalité… sont intéressants, son enfance, son désir d’indépendance, ses objectifs, ses rêves, sa force pour gravir les échelons jusqu’à devenir ce qu’elle a voulu.

Comment a-t-elle pu aimer une personne qui en plus d’avoir l’âge de son père a mis en place tout un projet machiavélique et inhumain ? La réponse est peut-être dans son enfance stricte, dans son besoin de se sentir aimé, d’être indispensable, importante…

Récit à la première personne sur Eva Braun, réminiscence de sa vie tel le journal intime qu’elle aurait pu écrire, témoignage précieux de celle qui a été la plus proche d’Hitler, lui offrant corps et âme jusqu’à le suivre dans la mort. Une lecture fascinante, très instructive, très troublante… Au point que le lecteur a l’impression de lire le journal intime d’Eva Braun écrit de sa main. »

 

Promenades culturelles:

« Vous me connaissez, je suis passionnée par la littérature et l’Histoire. Et par rapport à cette dernière, j’aime me documenter sur toutes les périodes ou presque, sur tous les grands personnages, sympathiques ou sulfureux. Connaître pour mieux comprendre, connaître pour pouvoir en parler, tel est mon credo.

Chloé Dubreuil touche ici à deux personnages dont l’évocation reste difficile tant ils ont marqué l’Histoire : Eva Braun, d’un côté et, par son intermédiaire, Hitler. Je me suis toujours demandé comment elle avait pu l’épouser, surtout connaissant le contexte… et j’en avais déduit qu’elle devait être comme lui. Oui, je sais, c’est assez précipité comme avis ! Mais avouez que pour se lier à un tel personnage, il faut quand même avoir des convictions, du sang-froid et des neurones en moins. Ceci dit, en lisant ce roman, je me suis aperçue qu’il y avait autre chose. L’amour a véritablement été son moteur. Elle s’est entichée de ce petit bonhomme charismatique au point de tout accepter, de tout subir. Qu’on ne s’y méprenne pas, le livre ne la fait pas passer pour une victime non plus. Elle a pleinement conscience de ce qu’elle fait. Elle raconte ceci avec la même froideur que ce qu’aura été son parcours. On découvre, par son biais, comment se comportait son amant.

J’ai aimé la façon dont Chloé Dubreuil nous présente les choses. Se mettre dans la peau d’Eva Braun n’a pas dû être évident. Je suis toujours friande des autobiographies romancées qui nous font entrer ainsi dans la vie de ces personnalités beaucoup plus facilement qu’un livre d’Histoire. Et, bien que le personnage soit rebutant au premier abord, j’ai dévoré ce roman ! »

 

Guerres et conflits :

« On ne connait que fort mal Eva Braun, qui croise la route d’Adolf Hitler en 1929 (le père d’Eva parle à l’époque du « clochard autrichien »…) et qui devient madame Hitler quelques heures avant de se suicider dans les ruines de la chancellerie du Reich en avril 1945. Ce livre, « reconstitution » de son journal intime, nous la présente au plus près du Führer, et donc au coeur du système national-socialiste.

Il ne s’agit donc pas stricto sensu d’un livre de recherche historique, mais comme le précise François Delpla dans sa préface, « Chloé Dubreuil, assimilant toute la documentation disponible et les plus consciencieux ouvrages d’histoire ou de fiction, se glisse dans le corps et l’esprit d’Eva Braun et lui prête des pensées invérifiables -l’essentiel de son journal et de sa correspondance ayant disparu- mais, le plus souvent, tout à fait vraisemblables ». Elle écrit donc « je » pour Eva et « tu » pour Adolf. Au fil des pages (passons sur les relations sexuelles entre les deux partenaires), elle aborde leur vie quotidienne (« Je me disais que nous aurions des enfants plus tard ») et nous croisons ainsi les grands dignitaires du parti et du régime (Goebbels, Bormann, Göring, Hess, Ribbentrop, Baldur von Schirach, etc.), mais aussi les artistes de l’époque (Greta Garbo, Breker, Leni Riefenstahl, etc.) et elle nous les présente dans un cadre presque familial, sous un jour qui n’est pas nécessairement celui des projecteurs et de la propagande. On a ainsi une vue qui semble assez réaliste par exemple des nombreux séjours au Berghof, le nid d’aigle des Alpes bavaroises, « avec ses trente pièces sur trois étages ». Le lecteur assiste aussi à la présentation par Speer des maquettes de la future capitale du Reich millénaire (avec son arc de triomphe « plus imposant que celui de Paris »), et y apprend que les dessins animés de Walt Disney comptent « parmi les oeuvres préférées » d’Hitler. Et après le début de la guerre, alors que les armées les plus formidables de l’histoire s’affrontent : « Il était tout à fait clair dans ma tête que j’allais vivre dorénavant comme si chaque jour était le dernier ». Avec cette phrase, qui marque la distinction entre l’Adolf privé et le Hitler public : « Pour le personnel du Berghof et de la chancellerie, tu étais un bon patron »

Un livre étonnant, où la guerre est indirectement présente, lointaine. Où la réalité du régime nazi s’estompe derrière un quotidien privé souvent banal. Où, comme l’écrit François Delpla : « Pour rendre justice à ce travail littéraire, la critique devra surmonter un réflexe pavlovien, qui depuis 1945 incite à réprouver, en tout effort pour comprendre les nazis, une tentative d’humaniser le mal ». Or, « si l’on osait cette hypothèse, la concentration du blâme sur ses actes criminels n’en serait que plus accusatrice ».

Les clionautes (Claudine Garcia) :

Ce roman prend la forme d’une autobiographie qu’aurait rédigée Eva Braun peu avant son suicide avec Hitler. Elle y raconte son histoire depuis leur rencontre en 1929 alors qu’elle a 17 ans jusqu’à leur mariage la veille de leur suicide commun, le 30 Avril 1945.

On peut donc retracer toute l’histoire d’Hitler et du nazisme, à travers les yeux de cette jeune femme qui assume à maintes reprises ne pas saisir tous les enjeux de ce qu’elle entend et vit. Cela confère à ce récit un point de vue original, qui confine à la superficialité. Après les peines de coeur d’Eva qui n’arrive pas à accepter de ne pas être la préférée d’Adolf, au point de se suicider par chantage (plutôt réussi), s’ensuivent ses préocuppations cinématographiques, sportives ou ses recherches vestimentaires pour briller lors des réceptions des hauts dignitaires nazis, avec un luxe de détails assez étouffant.

Son admiration pour le grand homme est sans borne, malgré les réticences notamment de sa famille, et le peu de considération qu’il lui témoigne, la plupart du temps. Elle s’accroche à lui et on ne sait trop qui est le faire-valoir de l’autre.  J’ignore si cette représentation est conforme à ce que fut Eva Braun, et il est probablement difficile de trancher au vu du manque de sources, mais l’image qu’en donne Chloé Dubreuil est celle d’une femme superficielle, qui accepte tout par amour (on aurait pu trouver l’opportunisme intéressant ; il aurait peut-être induit un peu de recul critique).

Revivre toute l’histoire nazie à travers un regard de femme-objet heureuse de l’être est doublement pénible, à mon sens. Mais, si vous recherchez un regard original et précis sur le Reich vu de l’intérieur, vous pourrez trouver votre bonheur dans ce recit. A condition peut-être de pouvoir souscrire à ces mots de la fin, dernières pensées supposées d’Eva :

« Où est le bien, où est le mal ? Nous ne sommes jamais posé la question. »

 

Histoire de France – Histoire du monde (Jérémy Huriaux)

« Ce roman historique vous plongera au coeur de la vie d’Eva Braun et, par conséquent, au cœur du Troisième Reich.

Son enfance, son adolescence, sa rencontre avec Adolf Hitler, son amour et sa mort pour lui.  Eva Braun vous raconte tout. Vous aurez l’impression d’être au côté de la maîtresse du dictateur nazi durant  toutes les étapes de sa vie.

Vous allez, également, en apprendre plus sur Hitler et les hauts dignitaires du régime. C’est d’ailleurs là le point fort de ce livre, il ne vous fera pas passer à côté des évènements de l’Allemagne durant ce second conflit mondial.

Pour le plaisir de dévorer un roman historique et pour mieux comprendre l’Histoire, c’est le livre qu’il vous faut lire !  »

 

Hellobook :

« Quel livre intéressant !
On sait tous qui est Eva Braun, qui deviendra la première dame du IIIème Reich. Il s’agit de l’histoire romancée d’Eva BRAUN, écrit à la première personne ce qui est très perturbant, car elle ne s’adresse pas à nous lecteur mais à Adolf. Ce qui est également perturbant, c’est que le récit est tellement réaliste ! C’est impressionnant.

En effet, l’auteure s’est beaucoup documentée, cela se ressent beaucoup sans que le récit ne devienne lourd du fait de multiples informations. Eva nous raconte ses souvenirs de vie, sans entrer dans la politique d’Hitler, et je trouve que c’est dur de s’imaginer comment elle a pu se marier avec lui en connaissance de cause. Je trouve que ce livre est « bien » pour ça, car on peut plus ou de comprendre tout en gardant à l’esprit que ce n’est pas forcément la réalité, mais une solution tout à fait plausible.

Eva Braun nous apparaît vraiment comme une femme froide sans empathie ou toute autre personne qu’Hitler. Mais parallèlement à ça, nous allons découvrir une femme au cœur sensible et très amoureuse.

Chloé DUBREUIL nous livre ici un récit exceptionnel, mêlant justement la réalité de la fiction rendant le récit fluide, complet et réaliste. De plus, elle y insère des émotions et comme le récit est à la première personne, cela n’a pas dû être simple à écrire alors bravo !

Si vous aimez l’Histoire, je vous conseille cette lecture. »

 

EXTRAIT

Souviens-toi…

 

Moi, Éva Hitler, née Braun, confie à ma seule conscience, à ma seule mémoire le récit qui va suivre. Je ne souhaite pas passer à la postérité, juste faire perdurer encore un peu avant de disparaître une existence qui m’a vu côtoyer au plus près de son intimité celui dont l’empreinte a déjà si fortement marqué l’Histoire. Celui que j’ai aimé, admiré. Celui qui m’a subjuguée, transformée et qui demeurera à mes yeux le plus grand homme d’Allemagne.

Cette histoire est la nôtre, Adolf.

 

*

 

30 avril 1945.

Berlin.

En ce matin du dernier jour, les aides de camp et ordonnances me bégaient un Fräulein incertain. Leur hésitation ne me surprend pas, nos noces ne sont-elles pas toutes récentes encore ? Je leur dis : – Vous pouvez m’appeler Frau Hitler. Et je souris, d’un sourire tendre. Je n’ai plus de craintes, plus de doutes. Tout sera prochainement fini, ce choix-là est le nôtre. Schopenhauer suggère dans ses livres que la vie n’est pas digne d’être vécue quand elle ne réserve plus que des désillusions et des misères. Je crois que je comprends maintenant pourquoi tu as fait tiens ses mots. 

Je n’ai pas peur. Tout est dit.

En ce matin du 30 avril 1945, le printemps semble fait de brume et de flammes. Une grisaille tachée de sang s’étend sur ce qui reste de notre capitale. Finalement, Berlin ne sera jamais rebaptisée du nom de Germania[1]… L’odeur abjecte dégagée par les morts que plus personne n’ensevelit stagne au ras des décombres. Précédés par leurs obus, les tanks arrivent.

Je demeure un long temps enfermée dans mon cabinet de toilettes. Entre ces murs de béton armé, le silence est tombé. Il ne dure jamais longtemps, les pilonnages sont quasi incessants maintenant ; ils ont fait de nous des spectres qui ne cessent d’errer dans ce trou à rats immonde et puant qu’est le bunker. Mes mains ne tremblent pas lorsqu’il faut me préparer. Je revêts ta robe préférée : la noire, brodée de roses dans le décolleté. Mes cheveux ont le soyeux que tu apprécies ; ma bonne, Liesl, les coiffe élégamment, le côté droit retenu par une barrette, les mèches ondulées en de légères vagues. On en a parlé, reparlé, tu le sais : peu m’importe que le vent emporte ensuite mes cendres, j’ai bien l’intention d’être un beau cadavre.

Un peu plus tard dans la matinée, j’invite dans ma chambre Traudl Junge. Nous discutons de tout et de rien pour nous distraire, la distraire. Je vois bien comme ta secrétaire est déstabilisée par cette fin que nous nous sommes choisie. Mais somme toute, n’est-ce pas normal ? Pour elle, la vie va devoir se poursuivre sans toi.

Dans le bunker, ma chambre est petite, sombre, mal aérée ; les meubles qu’Albert Speer m’a conçus et que j’ai tenu à déménager de mes appartements de la chancellerie tiennent trop de place. Ils ont beau faire de ma chambre la plus confortable de toutes et la tapisserie florale de mon canapé apporter à l’ensemble une note de fraîcheur, j’ai toujours eu l’impression d’étouffer entre ces parois qui suintent l’humidité et grondent du bruit de la ventilation. Le bunker est notre tombeau. Je crois qu’au fond de moi, malgré tous les élans d’optimisme dont j’ai pu faire montre, cet entrain que je me suis acharnée à manifester, malgré mon obsession à être toujours la même, à vivre toujours pareillement, le bunker a signé notre fin dès que je t’y ai rejoint.

Alors, un instant, dans ma chambre, en cette dernière journée, je manque abdiquer, partir, te laisser pour avoir une chance de survivre à mes trente-trois ans. Trente-trois, l’âge du Christ. Te rends-tu compte ?! Dès les premiers temps de notre relation, j’ai eu le pressentiment que nous ne vieillirions pas ensemble, que tu mourrais auréolé de gloire comme Lui. Je l’ai écrit noir sur blanc dans mon journal : même si elle m’a toujours rattrapée, je ne voulais pas m’intéresser à la politique ; elle est une affaire d’hommes, d’hommes et d’initiés ; c’est ainsi que j’ai été élevée. Je m’intéressais seulement à toi et toi seul. Non, faux, à nous. À nous et seulement nous. Aujourd’hui, je me sacrifie pour l’amour de toi, comme le Christ s’est sacrifié pour l’amour des hommes. Les hommes… Tu aurais pu les rendre purs de toute souillure ; ils t’ont abandonné quand d’autres te maudissent. Je ne vieillirai pas parmi eux. D’ailleurs, que serais-je sans toi ?

Ma défaillance n’est qu’éphémère. Lorsque mon regard se pose sur ton portrait, la volonté me revient brusquement. Le bleu de tes yeux… Il m’a toujours envoûtée. Bohnenberger a si bien su les peindre sur ce tableau : on dirait qu’ils retiennent un coin du ciel. Ils me lorgnent, me rappellent à moi.

J’effleure du doigt mes initiales enluminées d’un trèfle à quatre feuilles qui marquent mon armoire. Me voilà maintenant étreinte par la mélancolie. Ce monogramme, je l’ai choisi pour symboliser la chance inouïe qui m’a favorisée. J’avais demandé à Albert de me le dessiner avant de le faire graver et broder partout. Absolument partout. Sur mes meubles, sur mes bijoux, ma vaisselle, mes vêtements. Mes brosses, mes peignes aussi.

N’est-ce pas ainsi qu’agissent les femmes à qui il est donné de tout posséder ?

Je secoue brièvement la tête, refoule la pointe d’amertume qui se faufile en moi et ouvre l’armoire. Mon geste est assuré. À l’intérieur est suspendu mon manteau en renard argenté. Je me tourne vers ta secrétaire pour le lui offrir. – J’ai toujours aimé avoir des dames bien habillées autour de moi, maintenant c’est à vous de l’avoir et de vous en réjouir. Ma voix a semblé flotter sur une note unique. L’émotion que je vois s’afficher sur le visage de Traudl Junge manque bien vaincre une nouvelle fois ma résolution, mais je veux être forte pour notre Führer.

À présent, les bombes pourront bien anéantir Berlin, l’Allemagne est morte, je suis morte. Tu es mort. Et avec toi, c’est tout un monde qui s’éteint.

Me suis-je fourvoyée ? Aurais-je dû écouter les voix qui s’effrayaient de ta puissance ? Aurais-je dû m’élever contre cet amour si entier, si grisant qui me liait à toi ? Non, ces questions-là, je ne me les pose plus. Cet amour m’est tout. Et jamais, même en cet enfer qui est dorénavant le nôtre, je ne le trahirai.

 

Tout sera donc bientôt terminé. Tu vois, ma loyauté est absolue.

Goebbels, Axmann, Bormann, Kempka, Hewel, Kreps, Burgdorf, Günsche, Linge ; eux aussi te demeureront loyaux jusqu’au bout. De l’essence sera versée sur nos corps, le brasier sera si ardent !

Les tirs grondent et claquent sans interruption, les bolcheviks sont aux portes de la chancellerie. Notre patrie est défaite, le peuple est exsangue et cependant, j’en suis sûre, il va te pleurer. Ne lui as-tu pas redonné la fierté d’être allemand ? Nos ennemis auront beau se démener, notre pays ne t’oubliera pas.

Tout était si incertain pourtant au début. Te souviens-tu ?

Tu m’as conquise, comme tu as conquis notre nation. Il y avait quelque chose en toi contre lequel on ne pouvait pas lutter. Une sorte de déferlante qui nous a tous submergés.

 

 

[1] Le nom qu’aurait eu Berlin lorsqu’elle serait devenue la capitale du nouvel empire nazi.

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