Le faiseur de diables

An de grâce 1506.

Une série de crimes sordides dans la ville de l’illustre Jérôme Bosch et bien des peurs ressortent. Arent Saeghers, bras droit du bailli, est chargé d’enquêter, mais en s’exposant aux démons et merveilles qui flagellent le monde des hommes à travers les tableaux du peintre, ce lieutenant à la trouble personnalité risque fort de s’exposer à des périls plus intimes, et fatals, qu’il ne l’aurait cru.

À mi-chemin du roman noir et du polar historique, Le faiseur de diables nous plonge avec délectation dans un XVIe siècle humaniste et pourtant empreint de superstitions, au plus près d’un des grands artistes de cette époque et des rouages de son imaginaire.

 

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La couverture de votre roman est un détail du tableau Le jugement dernier de Jérôme Bosch. Dans quelle mesure cette œuvre a-t-elle influencé le sujet du roman ? Pourquoi l’avoir choisie ?

Ce n’est pas tant Le jugement dernier qui a inspiré l’intrigue de mon roman que l’univers particulièrement fantasmagorique du peintre. Maintenant, vous me direz, pourquoi ce tableau plutôt qu’un autre de Jérôme Bosch ? Le jugement dernier est une notion à laquelle fait référence mon personnage principal par deux fois dans le roman. Elle a du sens pour lui, et reflète les considérations qu’il porte sur le monde et ses semblables. Le choix de ce tableau en couverture n’est donc pas anecdotique.

Le Faiseur de diable se déroule au temps des primitifs flamands. Cette période est souvent associée à un âge d’or artistique pour les Pays-Bas. Pourtant, vous choisissez d’évoquer des crimes sordides dans une ambiance très sombre. Comment expliquer un tel contraste ?

La peinture des primitifs flamands a une forte connotation religieuse – regardez les Van Eyck – quand elle ne porte pas sur la vie sociale comme les tableaux de Brueghel l’Ancien. Nous sommes aux débuts de la Renaissance, aux prémices de la Réforme protestante. Le Nouveau monde vient d’être découvert, l’Église se déchire, les Pays-Bas de même, partagés entre ceux qui soutiennent le Saint Empire romain germanique et ceux qui regardent du côté de la France. La guerre civile est encore dans tous les esprits. C’est dans une société en plein bouleversement, encore fort éprise de superstition médiévale, une société pleine de peurs et de questionnements, que s’inscrit mon roman.

L’œuvre de Jérôme Bosch est unique : elle nous plonge avec férocité et sublimité dans les travers de l’Homme. Elle est un miroir tendu à nos vices et perversions, tout en essayant de nous montrer, symboliquement, le chemin à suivre pour nous en extraire. Bref, la peinture de Bosch se prête tout à fait au genre noir. Le Faiseur de diables n’avait plus qu’à se couler dans le moule de cette époque qui aspirait à un renouveau culturel, politique, et moral, sans pour autant parvenir à se débarrasser des terreurs du passé.

Qui est votre personnage principal, Arent Saeghers ? Est-il inspiré d’un personnage réel ?

Aucunement. Arent Saghers est un personnage comme je les aime : qui se tient sur le fil de la déraison, plein de force et pétri de fragilités. Ambigu, tourmenté. Un personnage des plus humains en sorte…

Au début du XVIe siècle, à quoi ressemblait la vie quotidienne à Bois-le-Duc, la ville natale de Bosch, loin de la Cour de Bruxelles ?

C’était une cité de moyenne envergure, inféodée au commerce, et à ses richesses. Les bourgeois et clercs avaient force de loi. Bois-le-Duc était une ville florissante, la population vivait plutôt bien.

Quelle place ont les recherches historiques dans votre travail d’écriture ? Quelles libertés vous êtes-vous accordées par rapport aux faits connus ?

J’aime que mes lecteurs puissent avoir confiance en ce qu’ils lisent. Je suis donc très attachée à raconter la grande histoire à travers la petite, à user de figures historiques en personnages secondaires. Les éléments relatifs au cadre de vie, à l’entour politique et social, ne sont pas fictionnels. Je passe toujours du temps en bibliothèque et sur internet avant de commencer à écrire mes romans historiques. Au cours de l’écriture elle-même, je vérifie constamment les détails. Mais je garde ma pleine liberté pour ce qui est de l’intrigue et de mes protagonistes principaux. J’ai besoin de laisser mon imagination vagabonder, composer selon ses envies. Je répète souvent à mes étudiants que la liberté est la qualité première de la fiction. Je ne pourrais continuer à écrire sans elle.

En quoi Le Faiseur de diable se distingue-t-il de vos autres romans « médiévaux » ? Allez-vous continuer à écrire sur cette période ?

Mes autres romans historiques ne sont pas des polars, romans noirs, mais plutôt de grandes fresques aventureuses – j’adore ce genre.  Actuellement, je travaille sur des « mémoires » de Gilles de Rais, l’un des plus fameux compagnons de Jeanne d’Arc et, accessoirement, le premier « tueur en série » de l’Histoire française. Un roman écrit au « je », comme je l’ai déjà fait pour Yeshoua et Eva Braun. Voilà un défi comme je les aime.

 

www.letournepage.com/livre/le-faiseur-de-diables/:

« Le faiseur de diables. Joli titre, n’est-ce pas ?

Un titre qui m’a fait de l’œil, posé sur la couverture juste au dessus d’un célèbre tableau de Jérôme Bosch, Le jugement dernier.

Jheronimus Bosch – attention, pas le héros récurrent des romans de Michael Connelly, mais bien le formidable peintre hollandais du XV° siècle ! – est un des personnages principaux du court roman de Chloé Dubreuil.

Un récit que le pitch situe à mi-chemin du roman noir et du polar historique, mais que je qualifierais plus précisément de roman néogothique.

Une histoire terriblement sombre – au propre comme au figuré, car les ambiances automnales et les éclairages à la bougie prédominent – où les crimes horribles se succèdent, au sein de la communauté de Bois-le-Duc.

Chargé de l’enquête, Arent Saeghers navigue entre les intrigues politiques et les influences religieuses, aidé par Agostino, le jeune apprenti de maître Bosch qu’il lui a confié.

Tout n’est que faux-semblant dans cette histoire, à commencer par la personnalité d’Arent Saeghers et celle d’Agostino (mais je n’en dirais pas plus, car ceci constitue le cœur même de l’intrigue).

Tout le talent de Chloé Dubreuil – une auteure pleine d’expérience qui a déjà publié plus d’une dizaine de romans, aux toiles de fond majoritairement historiques – est d’avoir « calé » sa narration et son style sur le rythme et l’ambiance de l’histoire.

Un style d’un grand classicisme, parfois volontairement un peu austère, un vocabulaire émaillé de mots et d’expressions anciennes (sans que cela tourne jamais au procédé) : c’est un plaisir de lire un texte d’une telle qualité littéraire.

Jusqu’à sa conclusion, la pénombre qui règne sur le roman perdurera : Le faiseur de diables n’est pas un roman d’espoir; mais avec un titre pareil, vous pouviez vous en douter… »

 

Promenades culturelles:
« Je trouve toujours original de s’inspirer d’un peintre, d’un tableau pour en écrire un roman. D’autant plus lorsqu’il s’agit d’un policier. Ajoutons à cela la contrainte de l’Histoire… Voilà bien des obstacles auxquels s’est attelée Chloé Dubreuil. Nous partons dans le monde de Jérôme Bosch, un peintre un peu à part qui m’a toujours fascinée. Nous sommes en 1506, à Hertogenbosch (Bois-le-Duc). Des crimes ont lieu. Arent Saeghers, le bras droit du bailli, va mener l’enquête. Mais attention, les démons veillent…

J’ai vraiment aimé cette histoire. Elle m’a tenue en haleine jusqu’à la fin. Impossible pour moi de refermer ce livre avant de savoir. De plus, j’ai plongé avec délice dans le monde de ce peintre particulier. J’ai adoré.

Je suis admirative ! En effet, Chloé Dubreuil arrive toujours à se renouveler, quel que soit le sujet. De la biographie au roman noir, c’est toujours un vrai plaisir de la lire. »

 

EXTRAIT

 

Au commencement

Où le crime nous invite à une ronde macabre

 

Hertogenbosch,[1] duché de Brabant, Pays-Bas bourguignons

2 novembre 1506

Les morts rôdent, c’est leur nuit. Une vraie nuit de cavale qui ne demeurera pas sans victime. D’ailleurs, au-dessus de la ville et de ses remparts, la lune elle-même se fait complice : obscène, d’une blancheur spectrale. Son reflet bondit d’un canal à l’autre, guette, attend.

La lune attend que le doigt de Dieu se pose sur le col du Diable. Là, dans le cimetière Sainte-Gertrude. Près, tout près d’une stèle gravée au nom de dame Ioule, « de bon renom, épouse d’affection de Maerten Andriessen », et d’un homme accolé à sa tombe lequel, en cette heure indue, et sans qu’il ne s’en rende compte, a été suivi. Sans doute avait-il l’esprit absorbé par sa visite au cimetière si longtemps repoussée… Quoi qu’il en fût, il ne pouvait mieux choisir, sans même le vouloir, le lieu de son trépas. Dans le relief tourmenté des allées bordées d’arbres dépenaillés se dresse la cohorte des sépultures. Moussues, livides elles aussi.

Pourquoi s’attarde-t-il ? Serait-ce ses regrets qui le retiennent ?

De l’autre côté du mur du cimetière, une cloche ébranle son battant. La mi nuit s’exalte et pourtant une impression de solitude et d’abandon, poignante, émane de l’endroit.

Le son de cloche expire.

Tapi derrière un puits étouffé par le lierre, tu retiens ton souffle – comme si quelque chose en toi se calquait à l’inertie de ta proie. Puis cette dernière s’extrait enfin de son apathie. Le froid, humide en cette saison, s’est insinué dans les veines de ta victime. Sa paume se détache avec peine de la pierre tombale sur laquelle elle était posée. Tranchant sur le gant noir, une chevalière en or, au chaton octogonal, s’aperçoit un instant entre deux éclats de lune.

L’individu, dont on discerne à présent l’échine cagneuse, se redresse avec difficulté, grimace en sentant ses genoux se rebeller contre la posture qu’il avait adoptée. Agacé, il relève derrière sa nuque la fourrure en lynx de son manteau, d’un brun aussi foncé que la toque à bords relevés qui couvre son crâne, dégarni, et sous lequel transparaît un visage au front bas et rugueux. Il a la mise soignée d’un échevin. Serait-ce là un riche marchand ? Un maître artisan ? Peu importe. L’homme, en ce cimetière, vit ses derniers instants. Ses ultimes instants de vivant que l’éternité se hâtera de damner.

 Dans son dos, les ténèbres se trouent d’un mouvement rapide : l’ombre que tu formes vient de jaillir. Au loin, un chien se met à hurler ; tu n’en tiens pas compte, comme si ce hurlement se condensait en toi depuis longtemps…

Plus au nord des sépulcres, à l’endroit où le linceul des indigents se désagrège dans leur fosse – laissant s’échapper les gaz dus à la décomposition des cadavres qui s’enflamment aussitôt au contact de l’air -, une flammèche jaunâtre, suivie d’une deuxième, vermillon, tourbillonne tout à coup dans l’air. D’autres naissent, rouges, jaunes, bleu pâle ; feux follets dansant leur ronde folle pour accompagner l’échevin au seuil de son enfer.

Celui-ci n’a pas le temps de s’effrayer de ces esprits de feu, il a perçu une respiration dans son dos. Lente, mesurée, avant qu’elle ne se condense en une expiration échevelée. Il se retourne brusquement, dicté par son instinct, le sentiment, soudain, d’un péril imminent. À ses pieds, l’esconce où brûle un lumignon n’éclaire qu’une large houppelande traînant au sol. La capuche qui lui fait face masque les traits de son agresseur. 

Écarquille les yeux, vil pécheur ! Mammon[2] et sa horde de monstres escortent le porteur de lame. Tu ne les vois pas, mais lui si car il est celui qui châtie en leur nom.

La bouche de l’homme s’arrondit sur l’esquisse d’une question qui reste coincée dans sa gorge : à la peur qui l’a saisi fait maintenant place la douleur lui trouant le cœur. Dans un ultime réflexe de défense, sa main crochète le revers de ta houppelande, puis le lâche.

Ta dague a fait son œuvre. Un coup d’estoc du haut vers le bas. Net, précis. Fiévreux, haineux.

Au loin, le chien s’arrête de hurler. À la verticale des tombes, l’astre nocturne tire sa révérence, absorbé par un taillis de nuages. Les feux follets poursuivent leur ronde macabre. Ton ombre assassine a frappé. On voit ta main couturée d’une pâle cicatrice enfouir quelque chose dans le gosier de ta victime. Une manière de râle – jouissance ? désespérance ? – fuse des tréfonds de ta capuche avant que tu ne traces en lettres de sang, l’index tressautant soudain nerveusement, deux mots sur la pierre de granit : « exempla contraria ».[3] Cela fait, tu te recroquevilles un instant sur toi-même, presses ton poing contre ta tempe, semblant vouloir retenir en toi une force obscure. De ces forces qui peuvent vous emplir, qui sont telle une peau tendue par-dessus d’autres sentiments, plus douloureux. Te dépliant ensuite de nouveau, tu t’esquives. Fuis, hagard. L’on perçoit alors un murmure frôler tes lèvres :

– Si peu de lys parmi les épines. Si peu de lys… Si peu de lys… Si peu…

L’antienne rebondit d’une ruelle à l’autre, exilant ta raison sur des rives que

[1] Bois-le-Duc, chef-lieu actuel de la province du Brabant-Septentrional aux Pays-Bas.

[2] Puissance démoniaque régnant sur la cupidité (prêt à usure, vol, ruse).

[3] « Exemple à ne pas suivre ».

 

2 réflexions au sujet de “Le faiseur de diables

  1. Anna Maria Corda says:

    Bonjour, j’aimerais savoir si votre dernier Roman, Le faiseur de diables sera disponible en ebook.

    Merci d’avance,

    Anna Maria

  2. Chloe Dubreuil says:

    Bonjour Anna Maria. 🙂 Non malheureusement, mon roman ne sera pas disponible en ebook; mon éditeur n’est pas suffisamment « connu » pour cela. Peut-être dans quelques années… J’espère que vous aurez néanmoins envie de le lire en format papier. Merci à vous, en tout cas, pour votre intérêt.

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